Réconciliation : mise à jour, printemps 2021

Barbara Filion

J’ai le plaisir de faire le point avec vous sur le projet de réconciliation de l’AMC. Comme vous le savez, nous travaillons avec le Conseil de la réconciliation et d’autres collaborateurs pour élaborer des recommandations et une boîte à outils afin d’aider les musées à aborder la question de la réconciliation. Ce numéro du magazine est consacré à l’environnement, c’est donc l’occasion parfaite pour présenter quelques exemples étayés par des informations du lien intrinsèque qui existe entre ces deux thèmes.

Le programme de réconciliation vit là une phase passionnante, car nous entamons le processus de sensibilisation et de mobilisation. Tout d’abord, nous avons informé les principales organisations Autochtones du début de notre démarche et nous les avons invitées à y participer. L’étape suivante consiste à communiquer avec des musées, centres culturels et sites patrimoniaux Autochtones et à les convier à collaborer en se joignant à des cercles d’écoute. Le cadre des cercles d’écoute est souple, ce qui permet aux différentes nations et communautés d’appliquer leurs propres protocoles et pratiques au processus en cours. Deux cercles d’écoute pilotes ont été organisés à ce jour : l’un en collaboration avec le parc patrimonial Membertou en Nouvelle-Écosse et l’autre avec le musée Haida Gwaii en Colombie-Britannique. L’objectif est d’entamer un dialogue avec des experts du patrimoine culturel Autochtone dans les cinq régions du Canada, y compris des aînés, des gardiens du savoir traditionnel, des conservateurs et des éducateurs Autochtones. Nous voulons écouter comment, selon eux, les musées peuvent donner suite à l’appel à l’action pour la réconciliation. Le fruit de ces cercles d’écoute et les leçons que nous en tirerons contribueront à façonner le rapport final et les recommandations, ainsi qu’à déterminer les types de matériels et d’outils dont les musées auront besoin pour soutenir le travail de réconciliation.

Dans le cadre de la stratégie de sensibilisation et de mobilisation, je m’adresse à tous les types de musées qui contribuent à la réconciliation, et ce, afin qu’ils collaborent à l’organisation de tables rondes avec leur personnel et leurs partenaires Autochtones. Ces tables rondes ont pour but d’étudier les différentes manières dont les musées abordent la réconciliation et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples Autochtones (la Déclaration). Nous voulons mieux comprendre les facteurs de réussite ainsi que les défis à relever, et identifier le soutien nécessaire pour faire progresser le travail de réconciliation dans les musées. Si votre institution est mobilisée dans une démarche de réconciliation, n’hésitez pas à communiquer avec moi et à me parler du travail que vous faites.

Le thème de ce numéro — le développement durable — m’inspire. Il me permet de parler d’un aspect qui n’est pas souvent mis en avant dans les initiatives de la réconciliation, mais qui est pourtant essentiel afin d’aborder les thèmes clés que l’on retrouve dans de nombreux articles de la Déclaration relatifs aux musées : les droits des peuples Autochtones à l’autodétermination culturelle, la sauvegarde du patrimoine culturel et la transmission des savoirs traditionnels Autochtones aux générations futures. Bien qu’il n’existe pas de définition universellement acceptée du terme « patrimoine culturel Autochtone », ce concept englobe les patrimoines matériels et immatériels, tels que les chants, la vannerie, les enseignements sacrés, les cérémonies, les embarcations, les modes d’alimentation et bien d’autres choses encore. Tous les patrimoines culturels Autochtones ont de profondes racines dans la terre, et par « terre » on entend également les cours d’eau, les plantes et animaux, ainsi que le cosmos. La santé de la terre est donc inextricablement liée à la santé des patrimoines culturels Autochtones, et la santé des peuples Autochtones est aussi liée aux savoirs traditionnels Autochtones.

Prenez ainsi les bouleaux dans l’est du Canada, dont certains montrent des signes de maladie. Si de moins en moins de bouleaux survivent, qu’adviendra-t-il de l’art du mordillage d’écorce de bouleau, des canoës, des paniers, du sirop et des remèdes? Comment les histoires, les cérémonies et les enseignements liés aux arbres vont-ils survivre et conserver leur sens? Je suis consciente que les patrimoines culturels Autochtones sont vivants, qu’ils évoluent et s’adaptent, mais ils le font généralement en fonction de l’échelle temporelle de la nature. Aujourd’hui, cependant, les humains altèrent cette échelle temporelle. Des répercussions sur la santé du patrimoine culturel Autochtone et des peuples se font sentir.

Une autre façon pour les musées d’aborder à la fois la Déclaration et les responsabilités socio-environnementales est de travailler avec des partenaires Autochtones pour sensibiliser le grand public et attirer l’attention sur les droits Autochtones en valorisant les patrimoines culturels et les savoirs traditionnels Autochtones. Il existe de nombreux exemples de modèles et de pratiques de durabilité Autochtones qui sont actuellement utilisés avec succès et qui offrent des solutions aux problèmes environnementaux, comme le projet d’énergie renouvelable de la communauté Kiashke Zaaging Anishinaabek dans le nord-ouest de l’Ontario, pour n’en citer qu’un. La liste des exemples est vaste et ne cesse de s’allonger, avec des communautés Autochtones s’attaquant à des problèmes environnementaux allant des pratiques agricoles durables à la protection et au soutien de la diversité biologique. En offrant aux peuples Autochtones des occasions de partager leurs savoirs traditionnels qui offre des solutions a des problèmes environnementaux, les musées peuvent mettre de l’avant d’autres perspectives pour examiner nos rôles et responsabilités envers l’environnement.

Par exemple, de nombreuses nations Autochtones estiment que les biens sont vivants, qu’ils contiennent une force de vie. Certaines nations croient que les biens-vivants (les « artefacts » dans le vocabulaire occidental) ont un esprit et qu’en tant que tels, on doit en prendre soin d’une manière précise sur le plan culturel. Megan Innes, membre de la nation Sḵwxw̱ú7mesh, a inventé le terme bien-vivants : « C’est ainsi que je désigne les biens, car ils sont encore vivants. Ils sont souvent liés à nous et à nos ancêtres. Pour moi, les biens-vivants sont des membres de la famille. Ils détiennent le savoir et la mémoire; ils font partie de la force vitale. » Même si cela ne fait pas partie de votre cadre culturel, tenez compte de l’impact que différentes façons de voir les choses ont sur votre réflexion. Chercher à comprendre les différentes visions du monde enrichit notre imagination et notre créativité, éléments essentiels pour aider à trouver des solutions à des complexes problèmes environnementaux.

Une autre façon d’aborder la durabilité écologique et la Déclaration consiste à se pencher sur les matériaux utilisés dans la préservation des biens1 (les collections). Les raisons d’examiner la manière dont on prend soin des biens, et plus particulièrement les substances utilisées pour la préservation, sont avant tout une question de respect des croyances des nations Autochtones. Il est important de travailler avec les Autochtones qui sont culturellement affiliés à certains biens afin de déterminer un régime conjoint de prise en charge qui respecte les croyances et les pratiques Autochtones. Bien que tous les peuples et nations Autochtones ne considèrent pas nécessairement que tous les biens sont sentient ou imprégnés d’esprits, beaucoup s’opposent à ce que des substances toxiques soient utilisées sur des matériaux sacrés, de nature culturellement délicate ou sur tout autre bien. Imaginez donc si vous croyez qu’un bien-vivant sacré a une force vitale et qu’il est régulièrement aspergé de produits toxiques. Il est évident qu’une telle pratique serait perçue comme blessante et irrespectueuse des visions du monde Autochtones. L’élimination des substances toxiques des processus de préservation a également eu des effets bénéfiques sur la santé du personnel des musées et au-delà.

L’une des principales clauses de la Déclaration porte sur le respect des patrimoines culturels uniques et variés des peuples Autochtones en reconnaissant comment les connaissances et façons de faire ont contribué et continuent de contribuer à la santé et à la résilience de la terre et, par conséquent, à l’amélioration de l’avenir commun de l’humanité.

Comme l’a déclaré le 14 janvier 2021 le ministre Steven Guilbeault lors de la série de conférences sur les changements climatiques du Collège Massey « Massey is Missing COP26 »  : « Les peuples Autochtones sont des activistes sur les changements climatiques depuis des milliers d’années. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux. » Je vous invite à réfléchir à ce principe fondamental dans le cadre de votre voyage sur le chemin de la réconciliation.

Une meilleure compréhension du lien entre la Déclaration et l’environnement aidera les musées à aborder la réconciliation dans une démarche panoptique tout en apportant des contributions positives aux enjeux environnementaux. Bien qu’il ne s’agisse pas de l’objectif principal des recommandations et des outils, c’est un élément important. Il est fort probable qu’il fasse partie du rapport et de la boîte à outils que nous élaborons dans le cadre de ce programme. Je me réjouis à l’idée d’engager le dialogue avec tant d’entre vous. Les recommandations et la boîte à outils commencent à prendre forme, et je continuerai à vous faire part des progrès et des prochaines étapes. M

Barbara Filion est la directrice du Programme de réconciliation à l’Association des musées canadiens.

Note :

1. Les Musqueam furent les premiers à utiliser le terme dans ce contexte.

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