La relève discute de l’avenir des musées 

Peter Simpson 

En affirmant « essayer de déterminer où exactement est sa place », Chantal Prémont a en quelque sorte énoncé l’objectif même de la table ronde virtuelle du groupe de l’Association des musées canadiens (AMC) tenue le 30 avril dernier avec de nouveaux professionnels des musées. Mme Prémont faisait partie des nouveaux professionnels invités à cette discussion consacrée à l’avenir des musées. Il s’agit du deuxième événement organisé récemment par une AMC réinventée qui, selon la directrice adjointe Anne-Marie Hayden, est « de plus en plus à l’écoute des différents points de vue en réunissant des gens, en mobilisant la tranche la plus jeune du secteur des musées et en renouvelant la façon dont elle communique ».  

Chantal Prémont est assistante à la collection et aux archives au Centre d’exposition de l’Université de Montréal. Comme d’autres participants à la vidéoconférence Zoom de 90 minutes, elle a déménagé quelques fois au cours des dernières années : Mme Prémont a effectué des stages à Paris et à Dublin et exercé des fonctions d’archivage, de catalogage, de recherche et d’éducation. Elle réfléchit ellemême à la question très importante – à laquelle les musées canadiens doivent répondre pendant la pandémie et à laquelle ils devront continuer de répondre par la suite — exprimée par Joanna Munholland : « Comment trouvons-nous notre pertinence en cette période? ». 

Mme Munholland a travaillé dans le domaine des arts et des musées de la Saskatchewan et du Manitoba. Elle est actuellement adjointe à l’expérience des visiteurs au National Trust de North Devon, au Royaume-Uni.  

« D’après ce qui ressort des contacts que j’ai à l’heure actuelle avec des gens de musées partout dans le monde, a-t-elle expliqué, j’ai le sentiment que nous sommes en mode panique. Nous sommes en réaction et devons combattre une foule de petits incendies. […] Il nous faudra en arriver à trouver un moment pour appuyer sur ‘‘pause’’, prendre une grande respiration et commencer à planifier. En effet, comme chacun le sait, sans planification, tout ce que l’on fera par la suite risque fort de ne pas bien fonctionner. » 

La table ronde virtuelle de l’AMC a permis aux professionnels de se connecter à distance de chez eux pendant l’arrêt des activités causé par la COVID19. Elle était animée par Anne-Marie Hayden et Kyle Hanna, agent du programme Jeunesse Canada au travail à l’AMC.  

Les animateurs ont demandé aux participants de penser de façon générale « aux programmes, à la gestion des collections, à l’administration et à la gestion des personnes » et de se représenter mentalement la situation dans quelques semaines, dans quelques mois, voire dans cinq ou dix ans. « Imaginez à quoi ressemblera ce musée et en quoi il sera différent de ceux que nous avons connus dans le passé », leur a demandé Mme Hayden.  

Tous ont semblé convenir qu’il faudra faire preuve de souplesse. Par exemple, M. Hanna se demande si les musées et les associations de musées devraient former leur personnel qui est en contact avec la clientèle pour le rendre plus polyvalent et lui permettre d’acquérir des compétences pouvant être mises à profit dans un rôle en coulisses.  

Ben Fast, d’Edmonton, est responsable de programme à l’Association des musées de l’Alberta et coordonnateur du contenu numérique et de la sensibilisation à ICOM Canada. D’après lui, pour faire preuve de souplesse en ce qui touche les ressources en personnel, on doit d’abord éviter de mettre à pied les employés. 

Photos — Ben Fast, Chantal Prémont, Anne-Marie Begin et Lorenda Calvert

« Il faut beaucoup de travail pour réembaucher des employés et gérer le processus des ressources humaines en cas de mise à pied, a déclaré M. Fast. La viabilité organisationnelle devra être axée autant sur les ressources humaines que sur tout autre aspect. »  

Ann Marie Begin, interprète du patrimoine au Quai 21 à Halifax, a souligné que trois nouveaux interprètes embauchés juste avant la fermeture ont été réaffectés aux programmes numériques au lieu de travailler en personne auprès du public. Ce type de souplesse repose aussi sur la stabilité de l’emploi et un salaire décent.  

D’après ces interprètes, à un moment donné, la reconnaissance des travailleurs de première ligne se résume à une question financière. « Parce que peu importe à quel point j’aime travailler comme interprète, a affirmé l’un d’entre eux, je ne pourrai pas continuer si je n’arrive pas à payer mon loyer. ».  

Le contenu numérique a été examiné à court et à long terme de même qu’à l’interne et à l’externe.  

Lorenda Calvert, depuis peu agente de programme à l’Association des musées de la Colombie-Britannique, a participé à la vidéoconférence à partir de Vancouver. Celle-ci a expliqué qu’elle organise des réunions virtuelles regroupant les travailleurs des musées pour leur offrir « un lieu de rencontre hebdomadaire où communiquer et échanger des idées », par exemple sur la façon de s’en sortir avec un budget et un effectif réduits et de réagir efficacement à des circonstances extraordinaires alors que leur équipe de 300 personnes a été ramenée à une centaine ou que leur équipe de cinq personnes a diminué de moitié. » 

Selon Scott Marsden, professionnel de musée à Yellowknife, la pandémie « offre une belle occasion de tirer des leçons, de se pencher sur les lacunes et d’examiner attentivement une stratégie numérique ». 

Ann Marie Begin estime que les responsables des musées devraient réfléchir au « contenu numérique de longue durée » et à la façon de « tirer profit du fait que leur institution constitue une ressource d’information approfondie et réfléchie au lieu de se limiter à montrer des images de pièces de leur collection accompagnées d’une phrase descriptive. ».  

Eric Chan, connu sous le pseudonyme d’EEPMON, artisan numérique et membre du conseil d’administration de l’AMC, a été invité à la table ronde en tant qu’observateur. Après la discussion, il a exprimé son point de vue sur l’importance d’une stratégie numérique : « D’après mes observations, il m’apparaît clairement que la pandémie a révélé une grande incertitude et, par le fait même, une perturbation soudaine et inattendue de l ‘ensemble du secteur des musées. Par contre, les participants ont évoqué de nouvelles possibilités et un énorme potentiel de croissance. À mon avis, les musées ont plus que jamais besoin d’une stratégie numérique efficace pleinement intégrée. » 

« Nous sommes à l’ère numérique!, a ajouté M. Chan. Personnellement, j’estime que les musées doivent DÈS MAINTENANT passer à l’action et se fixer des objectifs à court terme afin d’assurer la continuité et la longévité de nos institutions canadiennes de toutes tailles. #WeAreInThisTogether. » 

Pour sa part, Lorenda Calvert prévoit un allégement graduel des règles de confinement et une combinaison souple de visites en personne et d’activités de sensibilisation numériques, mais elle se demande quelle sera la situation après neuf ou dix mois. Les élèves serontils en classe? L’accès du public aux musées seratil échelonné? Comment les musées s’y prendrontils pour que les gens se sentent en sécurité? 

Mme Calvert se demande également ce qu’il en sera des bénévoles « qui ne seront peutêtre pas en mesure d’aller sur place ». Et comment réaffecteraton les bénévoles sans sacrifier la passion personnelle qui les a peutêtre amenés à s’impliquer? 

Le groupe a discuté de la gestion des collections et de la façon dont la COVID complique leur préservation tout en fournissant un modèle pour les catastrophes à venir, comme le changement climatique. M. Fast a évoqué les inondations et les incendies annuels en Alberta. Il se demande comment gérer les collections « durant une saison où, en principe, nous ne sommes pas censés entrer dans l’immeuble ». 

L’extérieur de l’immeuble est également important. Selon Joanna Munholland, les musées sousutilisent les lieux en plein air propices à la distanciation physique. Pour sa part, Scott Marsden aimerait que l’on adopte une approche davantage axée sur la collaboration pour assurer la conservation et la préservation des collections. Quant à Ben Fast, il a signalé que certains musées sont à la recherche de journaux personnels tenus par des membres du public en période de pandémie de COVID, mais il se demande comment on s’y prendra pour transcrire, interpréter et présenter ces journaux. Chantal Prémont espère que les musées concentreront leurs efforts sur leurs propres collections au lieu de mettre l’accent sur les expositions créées par d’autres institutions.  

Ann Marie Begin a fait valoir que les programmes en personne sont plus efficaces pour établir des liens entre les communautés et aider les gens à comprendre leur propre communauté. D’après Ben Fast, les musées jouent déjà un rôle dans l’analyse d’enjeux comme la réconciliation et le changement climatique. À cet égard, Anne-Marie Hayden a qualifié les musées de « lieux de dialogue et de discussion où nous pouvons parler de ces problèmes difficiles et contribuer à les résoudre ». 

M. Hanna a clos la discussion en déclarant que « nous avons peutêtre soulevé plus de questions que nous avons trouvé de réponses » et que l’AMC poursuivra « cette collaboration à l’échelle du continent ».  

Dans l’ensemble, Mme Hayden a conclu : « Ce que j’ai trouvé vraiment inspirant, c’est l’idée d’un musée de l’avenir encore plus attrayant, empathique, accueillant et représentatif un musée encore plus axé sur la collaboration dans de très nombreux aspects de son fonctionnement ».  

Cette table ronde faisait partie d’une série de réunions similaires que l’AMC a tenues avec des intervenants de partout au pays au cours de la dernière année. L’Association explore de nouvelles façons de communiquer avec divers groupes, de prendre connaissance de leurs idées et de les partager, notamment en ligne.