Présentation du lauréat du Prix d’histoire du Gouverneur général 2021 pour l’excellence dans les musées : Histoire vivante!

Un message du commanditaire du prix

Le soutien d’Ecclesiastical Insurance du Prix d’histoire du Gouverneur général pour l’excellence dans les musées : Histoire vivante! est une manifestation de notre engagement et de notre soutien à la protection et à la promotion du patrimoine culturel au Canada. Félicitations à tous ceux qui ont participé à l’exposition Printed Textiles from Kinngait Studios du Textile Museum of Canada pour ce succès bien mérité.
Présenté en partenariat

L’histoire en marche

Kimberly Moynahan

L’exposition Printed Textiles from Kinngait Studios (Textiles imprimés des studios Kinngait) du Musée du textile du Canada est une présentation unique de textiles sérigraphiés produits par des artistes et des graveurs inuits à Kinngait (anciennement Cape Dorset), au Nunavut, dans les années 1950 et 1960. Il s’agit de la seule collection publique connue de textiles imprimés inuits au Canada. L’exposition retrace l’évolution et l’incidence de ces textiles, et explore leur héritage à travers le travail de créateurs de mode inuits contemporains.

L’exposition est l’aboutissement d’un partenariat continu entre le Musée et la West Baffin Eskimo Cooperative (coopérative eskimo de Baffin ouest) (WBEC), une coopérative d’art inuit qui exploite les Kinngait Studios, le plus ancien atelier de gravure d’art au Canada. Cette collection unique d’œuvres oubliées depuis longtemps a été mise au jour pour la première fois en 2016 lorsque William Huffman, directeur du marketing chez Dorset Fine Arts à Toronto, est tombé sur une boîte dans un casier d’entreposage. Dans la visite virtuelle de l’exposition, il a rappelé ce moment :

« …Je fouillais dans notre casier d’entreposage quand cette boîte magique tombe au sol et des textiles en sortent; j’ai immédiatement compris l’importance de ce que je voyais et pourquoi on appelle cet endroit le Musée du textile… »

Cette exposition explore la vie et le travail d’un groupe d’artistes et de graveurs inuits dans les années 1950 et 1960. Image de l’installation de l’exposition Printed Textiles from Kinngait Studios au Textile Museum of Canada. Photo — Darren Rigo

Dorset Fine Arts est la filiale marketing de la WBEC. Le tissu était entreposé à Kinngait depuis l’arrêt de la sérigraphie en 1968, puis avait été expédié à Dorset Fine Arts pour y être conservé. William Huffman a invité Sarah Quinton, directrice de la conservation du Textile Museum, Roxane Shaughnessy, conservatrice principale et gestionnaire de la collection, et Anna Richard, une ancienne employée, à venir examiner les tissus. Elles y ont vu des dizaines de textiles imprimés présentant des motifs colorés audacieux réalisés par des artistes bien connus de Kinngait. « Il est difficile de décrire à quel point c’était remarquable », a affirmé Roxane Shaughnessy.

En 2017, le Textile Museum et la WBEC ont formé un partenariat et ont commencé à envisager une exposition. Le musée serait le régisseur de la collection et offrirait un large accès public aux 194 textiles de la collection de la WBEC. Ceux-ci ont été transférés au musée dans le cadre d’un prêt à long terme. Le travail de catalogage et de photographie de la collection, d’identification des artistes et des imprimeurs, et d’établissement de la provenance des textiles a alors commencé. Si certains des dessins avaient été enregistrés dans la Base de données sur les dessins industriels canadiens, la plupart ne l’étaient pas, ce qui laisse penser qu’il s’agissait de pièces expérimentales qui n’avaient jamais été mises en production. Une partie de la recherche consisterait à comprendre le contexte de cette période expérimentale de la gravure.

En collaboration avec l’Inuit Art Foundation (IAF), qui a facilité les mises en relations, le musée a communiqué avec toutes les personnes susceptibles de connaître les textiles et l’histoire de la sérigraphie à Kinngait : artistes, chercheurs, professionnels des musées et historiens. L’IAF a ensuite constitué une équipe de conservation et de recherche comprenant des spécialistes inuits et non inuits. Heather Igloliorte, érudite inuite et historienne de l’art, a été chargée de conseiller le projet.

Si l’histoire de l’impression sur papier à Kinngait était bien documentée, il n’existait presque aucune information sur l’entreprise d’impression sur tissu. La chercheuse Anna Richard, Roxane Shaughnessy et d’autres experts ont donc fouillé dans la collection d’œuvres d’art et de photographies de Bibliothèque et Archives Canada, dans les archives de journaux et de magazines, dans des rapports, dans des revues universitaires, dans des transcriptions d’histoires orales et dans tout ce qui pourrait contenir des indices sur les origines des textiles.

Lentement, l’histoire de ces tissus a commencé à se dévoiler. Ils avaient été créés pendant une période brève, mais déterminante, pour la gravure à Kinngait. Les années 1950 et 1960 ont été une période de changement social et d’expérimentation artistique. Les communautés inuites étaient confrontées à d’importantes pressions traumatisantes qui menaçaient leur langue, leur mode de vie et leur relation à la terre. En même temps, le design du milieu du siècle gagnait en popularité et la demande nord-américaine et européenne de tissus conçus par des artistes était élevée.

Textile du harfang des neiges (à droite) de ᐱᑦᓯᐅᓛᖅ ᐊᓲᓇ / Pitseolak Ashoona (1904 — 1983). Image de l’installation de l’exposition Printed Textiles from Kinngait Studios. au Textile Museum of Canada. Photo — Darren Rigo.

La gravure avait d’abord été introduite à Kinngait dans le cadre d’un programme gouvernemental des années 1950 visant à encourager la production artisanale. La WBEC a été créée en 1959 et les artistes de Kinngait ont rapidement acquis une renommée internationale pour leurs dessins sur papier imprimés à la planche. Mais l’impression à la planche sur tissu étant irréalisable, le studio s’est tourné vers la sérigraphie. C’est ainsi qu’ont commencé plusieurs années d’expérimentation pendant lesquelles les graveurs ont mis au point des techniques exploitables pour produire les textiles. Ce sont ces pièces expérimentales qui ont été retrouvées dans la boîte découverte à Toronto 60 ans plus tard.

« Les tissus de Cape Dorset étaient des sortes de chutes laissées dans les studios, certains ne fonctionnaient pas vraiment, comme une épreuve de studio. Ils n’étaient pas destinés à être vendus, alors ils étaient simplement mis dans une boîte... nous ne voulions pas les jeter. » Aîné Jimmy Manning (extrait du catalogue Printed Textiles from Kinngait Studios)

Une fois la sérigraphie maîtrisée, la WBEC est devenue une entreprise commerciale d’impression de tissus. Les textiles qu’elle a produits ont été exportés dans le monde entier et sont devenus des articles ménagers, comme des rideaux, des nappes et des taies d’oreiller. Certains modèles ont remporté des prix internationaux et ont même été présentés à l’Expo 67. En créant et en commercialisant des textiles sérigraphiés, les artistes inuits ont pu profiter de l’engouement pour le design du milieu du siècle dernier et participer à l’économie mondiale.

Plus important encore, l’art lui-même est devenu un moyen pour les Inuits d’enregistrer et de préserver leurs histoires, leurs légendes et leurs traditions. Les plantes, les animaux et les autres images sur les textiles étaient plus que de simples images sur du tissu. Comme Heather Igloliorte l’a écrit dans un article publié en 2017 dans le Art Journal :

« En intégrant ce savoir autrement interdit dans leurs œuvres d’art, les artistes inuits ont exprimé le principe du qanuqtuurungnarniq, qui consiste à faire preuve d’innovation et d’ingéniosité pour résoudre les problèmes, en utilisant les moyens à leur disposition — la création artistique — afin de sauvegarder intelligemment le savoir inuit pour les générations futures. »

Roxane Shaughnessy s’est rendue à Kinngait en 2018 pour partager ce que le musée avait appris sur les textiles avec la collectivité de Kinngait et pour interviewer des aînés qui pourraient connaître l’initiative de sérigraphie du milieu du siècle. Elle a fait une présentation aux graveurs et aux artistes du studio qui comportait des images de certains des textiles. Lorsque les participants ont vu des œuvres réalisées par des amis et des proches aujourd’hui décédés, cela a été un moment émouvant. Deux graveurs ont reconnu les œuvres de leurs propres parents.

Roxane Shaughnessy est retournée à Kinngait un an plus tard, en compagnie d’Alexandria Holm, coordonnatrice du projet de conservation, pour mener des entrevues avec des artistes contemporains. Ils ont également organisé une présentation publique à l’école secondaire locale. Le taux de participation a été élevé et les membres de la collectivité ont partagé avec enthousiasme leurs souvenirs et leurs histoires; certains ont même reconnu des motifs qu’ils avaient vus sur des photos ou les maisons de parents plus âgés.

Textile du caribou de la toundra (mur du fond) œuvre d’un artiste non identifié. Image de l’installation de l’exposition Printed Textiles from Kinngait Studios au Textile Museum of Canada. Photo — Darren Rigo.

Enfin, pour relier ces tissus imprimés historiques à la vie inuite contemporaine, le musée a invité trois créateurs de mode inuits contemporains à partager leurs réflexions sur les tissus Kinngait datant d’une soixantaine d’années. Martha Kyak, d’InukChic, s’est ainsi exprimée sur les œuvres d’art du catalogue Printed Textiles from Kinngait Studios :

« On voit leur lien avec la terre et le monde des esprits, parce qu’ils croyaient que tout avait une âme et que les animaux se transformeraient en humains, comme le racontent les légendes et les histoires [. . .] donc, quand on voit ces images, c’est à cela que je pense — à leur façon de penser. »

L’exposition s’est déroulée de décembre 2019 à janvier 2022. Les visites vidéo et audio de l’exposition demeurent sur le site web du musée. Dans le cadre du mandat du musée de mettre les textiles à la portée du public, la collection complète est en cours de numérisation et sera mise en ligne. L’exposition partira en tournée dès cette année. Même si le calendrier n’est pas encore déterminé, la tournée comprendra l’Alberta, le Manitoba et, bien sûr, Kinngait. M

Le Textile Museum of Canada est le lauréat du Prix d’histoire du Gouverneur général pour l’excellence des programmes dans les musées : Histoire vivante! qui sera remis lors d’une cérémonie animée par le Gouverneur général plus tard cette année.

Kimberly Moynahan est une rédactrice indépendante qui a conçu des expositions pour des musées pour enfants, des centres scientifiques et culturels, et des musées du patrimoine partout au Canada et à l’étranger. Ses articles et ses essais ont été publiés dans Muse, EarthLines Magazine, Zoomorphic, Labrador Life, Hakai Magazine et Best Science Writing Online de Scientific American. Son mari et elle vivent dans une maison à consommation énergétique nulle, nichée parmi les pins sur la rive d’un lac accidenté près de Kingston, en Ontario. Elle est située sur les terres traditionnelles des peuples Anishinaabek et Huron-Wendat.

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