Au-delà de la propriété et du commerce :
Établir un programme de prêts communautaires


Institut culturel cri Aanischaaukamikw

« … Le concept de l’Aanischaaukamikw se fonde sur la conscience que la préservation, le maintien, le partage, la commémoration et la pratique de la culture crie sont essentiels … l’Institut est le symbole vivant de la détermination des Cris de la baie James à préserver et à faire connaître leurs histoires et leurs légendes, leur musique, leurs images et leurs objets illustrant l’interaction unique des Premières nations avec la terre. Cette interaction s’exprime par la chasse, la pêche et la trappe, et elle est mise en évidence par le profond respect que le peuple voue à cette terre qu’il foule depuis des temps immémoriaux. »
Mission et vision, Institut culturel cri Aanischaaukamikw

L’Institut culturel cri Aanischaaukamikw (ICCA) a été inauguré en 2011, après des dizaines d’années de planification par les aînés et les membres de la communauté eeyoue. Situé à Oujé-Bougoumou, l’ICCA est l’institut culturel régional pour Eeyou Itschee, une région autonome du Québec qui comprend dix nations eeyoues : Whapmagoostui (Là où il y a des bélugas), Chisasibi (Fort George), Eastmain, Wemindji (Les montagnes peintes), Waska-ganish (Maison de Rupert), Nemaska, Waswanipi, Oujé-Bougoumou, Mistissini et Washaw Sibi. Ses activités portent sur la prestation d’un programme éducatif sur la culture eeyoue; sur la gestion d’archives culturelles, d’une bibliothèque et de la collection muséale; et sur la présentation d’une exposition permanente. Notre mandat énoncé précédemment explique notre mission, qui est empreinte de nos valeurs eeyoues.


Le terme eeyou (pl. eeyous) signifie « le peuple » dans le dialecte des Cris de la côte est. L’équivalent dans le dialecte des Cris des terres intérieures est le terme eenou (pl. eenous). Les deux dialectes sont utilisés dans le territoire d’Eeyou Istchee.


Prendre soin de nos biens comme il se doit

Le Programme de prêts communautaires est l’un des programmes reliés à nos collections uniques que nous avons développés en appui à notre mission. Ce programme révise les principes muséologiques usuels relatifs aux prêts pour répondre aux besoins des membres de notre communauté. Il reflète aussi nos approches évolutives et décolonisées par rapport à la muséologie euro-occidentale traditionnelle, car nous cherchons à intégrer des biens qui sont encore en usage ainsi que les contextes de leur utilisation dans notre recherche et nos expositions.

Ce programme favorise la participation active des membres de la communauté qui sont à la recherche d’un lieu sûr pour entreposer leurs biens culturels de la bonne façon et dans le respect, grâce à des procédures axées sur les besoins des membres de notre communauté et au respect de leurs volontés sur la façon d’utiliser leurs biens. Les principes de notre programme de prêts communautaires permettent aux prêteurs d’énoncer des restrictions pour l’utilisation de leurs biens. Ainsi, des biens sacrés et cérémoniels qui nécessitent un entreposage en lieu sécuritaire peuvent tout de même être manipulés par les membres de la famille.

Nous avons actuellement 30 prêts communautaires et certains contiennent plusieurs objets. Lorsque nous en avons la permission, nous intégrons ces collections à notre exposition « permanente » Aa Chiiwaaschaaniwich (Se réapproprier les pratiques ancestrales), et environ la moitié de ces prêts sont inclus dans notre exposition itinérante Empreintes de pas — Une marche à travers les générations. Les collections sont généralement accompagnées d’une grande quantité d’information contextuelle de grande richesse et elles comprennent même parfois des photographies illustrant l’utilisation des objets que nous pouvons inclure dans nos présentoirs. Par exemple, l’ancien grand chef Matthew Mukash nous a prêté sa veste de chef en précisant qu’elle lui avait été offerte parmi d’autres cadeaux, lors d’une fête soulignant sa première élection, en 2005. « Mes aînés m’ont enseigné qu’un tel cadeau est empreint de l’esprit du grand honneur, qui m’accompagnera jusqu’à la fin de mon voyage sur Terre. »

S’il est vrai que les concepts philosophiques sous-jacents à ce programme ne sont pas toujours évidents pour nos visiteurs, il est tout de même important que nos modes de travail comme institut qui repense et qui révise ses approches muséologiques concordent avec la vision du monde eeyoue. Le visiteur qui ne verrait qu’une étiquette indiquant que les pièces sont « temporairement retirées » dans notre section sur les soins aux bébés, saurait peut-être que la tasse et l’assiette en émail ont été retirées par le prêteur. Il ne saurait pas toutefois que le prêteur voulait les utiliser dans une cérémonie des Premiers pas (voir l’encadré) au cours de laquelle elles feront partie de la tenue de sa fille. La famille voulait que la tenue intègre des éléments de la cérémonie des premiers pas de son fils qui s’était déroulée quelques années plus tôt. Les détails de cette utilisation continue de biens dans leur contexte culturel ne sont pas nécessairement transmis aux visiteurs dans le texte d’accompagnement, mais un guide peut les expliquer sur place au moment opportun.

Nos prêts communautaires comptent actuellement 32 objets. On peut diviser les motivations des prêteurs et nos désirs institutionnels selon les catégories suivantes :
44 % Pour notre exposition itinérante — Empreintes de pas — Une marche à travers les générations
29 % Pour la conservation sécuritaire et la présentation; ces objets comprennent des biens précieux fabriqués ou détenus par des membres de la famille ou des amis et des objets servant à des fins rituelles
9 % Objets qui ont un caractère spécial; par exemple, des vêtements portés par des chefs
6 % Objets qui améliorent nos présentoirs
6 % Biens culturels qui ont besoin de conseils ou de traitement relatifs à leur conservation
3 % Objets précieux qui ne proviennent pas de la région, mais qui témoignent d’un travail artisanal remarquable
3 % Œuvres d’art qui ont des liens avec la communauté

Précédemment, nous avons également administré des prêts de certains types de biens particuliers pour les exposer dans le hall des aînés à l’entrée du bâtiment. Ce sont plus de cinquante exemples de barrettes en perles et seize pihchishaapunikiniwit (nécessaires à couture) qui ont été présentés dans une exposition préparée par le Service du bien-être et de la culture de la Nation crie de Wemindji.


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Cérémonie des Premiers pas

Dès sa naissance, l’enfant est porté et il ne touche pas le sol extérieur tant qu’il n’est pas prêt à marcher. La « cérémonie des premiers pas » se tient généralement au lever du soleil lorsque les fleurs commencent à éclore. C’est la première fois qu’un enfant pose les pieds sur la Terre mère et qu’il est officiellement présenté à la terre et aux animaux qui nous nourrissent. Les aînés de la communauté, les membres de la famille et les invités se réunissent pour être témoins de cet événement joyeux et mémorable. Les vêtements et les accessoires portés pour cette cérémonie sont généralement faits spécifiquement pour l’occasion et comprennent souvent des éléments fabriqués ou portés par des membres de la famille précédemment.



Conseils relatifs à un Programme de prêts communautaires efficace

Si vous désirez mettre en place un programme de prêts communautaires, voici quelques éléments à considérer :

  • Priorisez les besoins du prêteur en tout temps. S’il désire reprendre son bien, il est important de répondre à sa demande en temps opportun. Nous acquiesçons promptement aux demandes de retrait temporaire et de retour, et nous les traitons de toute urgence. Les délais sont indiqués dans les documents préparés pour les prêteurs : dans les 24 heures d’une demande verbale ou écrite d’un retrait temporaire; et dans les 7 jours ouvrables pour des retours permanents. Ces délais sont ambitieux, nous avons réussi à les respecter dans la plupart des cas.
  • Créez une fiche d’information sur les prêts communautaires dans laquelle seront inscrits tous les points importants concernant le prêt et qui sera remise au prêteur avec l’entente de prêt. Assurez-vous que ce document est rédigé dans une langue qui ne comporte pas de termes muséologiques spécialisés ou d’acronymes.
  • Envisagez d’offrir l’entrée gratuite au prêteur et à ses invités. Cette mesure les incitera à amener leurs visiteurs au musée.
  • Si le prêteur permet que ses biens soient exposés, assurez-vous de l’informer des périodes au cours desquelles ils seront exposés et ne le seront pas.
  • Assurez-vous que le prêteur est conscient qu’il peut venir voir son bien en tout temps, qu’il soit exposé ou non. Nous demandons aux prêteurs de nous informer le plus tôt possible, le cas échéant, mais nous nous efforçons de répondre à chaque demande, quel que soit le délai.
  • Assurez-vous que le prêteur précise ses exigences ou ses restrictions par rapport à ses biens. Pour une collection de biens rituels relatifs à la chasse, le prêteur a demandé que la collection ne soit pas comptée. Nous avons trouvé des façons de consigner l’étendue de la collection à l’aide de photographies pour respecter sa volonté.
  • Dans la mesure du possible, retournez les prêts dans du matériel qui en favorise la conservation en vue de son entreposage à long terme.
  • Dans la mesure du possible, remettez au prêteur des images à haute résolution de ses biens sur une clé USB ou un CD.
    Pour l’instant, notre base de données de collections en ligne présente nos collections permanentes d’objets, d’archives et de bibliothèque [cree.minisisinc.com] mais nous aimerions l’étendre pour inclure les collections prêtées par des membres de la communauté, si les prêteurs donnent leur consentement.

Les programmes de l’Institut culturel cri Aanischaaukamikw basés sur des collections émergentes combinent les besoins de nos communautés avec les normes muséologiques existantes que nous décidons d’adopter et s’harmonisent avec la vision du monde et les valeurs de notre nation. Nos aspirations pour notre centre culturel, qui s’expriment en partie par notre programme de prêts communautaires, sont bien traduites par ces mots de David Garneau, un artiste et universitaire métis :

« Chaque culture tourne autour d’un ensemble d’objets et d’espaces qui vont au-delà de la propriété et du commerce. Ce sont des trésors nationaux, des sites et des textes sacrés, des symboles qui sont un centre de gravité d’une communauté. Les objets et la protection de ces objets définissent la culture; ils en maintiennent les nombreuses parties en orbite. » [Trad.]1

Note
1. David Garneau, « Imaginary Spaces of Conciliation and Reconciliation: Art, Curation, and Healing », In Arts of Engagement: Taking Aesthetic Action In and Beyond the Truth and Reconciliation Commission of Canada, éditeurs Dylan Robinson et Keavy Martin (Waterloo: Wilfred Laurier University Press, 2016): 25.


Au sujet de l’Institut culturel cri Aanischaaukamikw

Aanischaaukamikw, l’Institut culturel cri, est un musée, un centre d’archivage, une bibliothèque, un lieu d’enseignement et un centre culturel construit en collaboration avec toutes les communautés eeyoues d’Eeyou Istchee. Il constitue le point culminant de la quête des Cris de la baie James pour exercer le plein contrôle sur tous les aspects de leurs vies, de leurs communautés et de leur destinée culturelle. L’exposition itinérante intitulée Empreintes de pas — Une marche à travers les générations sera présentée au Musée canadien de l’histoire, de mai à novembre 2019.

 
  Ce rapport muséologique a été rendu possible grâce au financement du Gouvernement du Canada. Ce rapport a été également publié dans le magazine Muse, numéro janvier/février 2019.