Musées et réfugiés : bon coup ou occasion manquée?

Jim Cullen

Les discussions que mènent actuellement les professionnels de musée entourant la justice et la responsabilité sociale, la pertinence des musées et leur intérêt pour le public poussent les musées à s’engager davantage dans la société moderne. La crise des réfugiés syriens offre aux musées canadiens une occasion en or de passer de la parole aux actes. Au 29 janvier 2017, 40 081 réfugiés syriens étaient arrivés en sol canadien1, et des milliers d’autres demandes de réinstallation sont encore en traitement.

Auteurs de l’article « Understanding Integration », Alastair Ager et Alison Strang soulignent que les réfugiés syriens au Canada ont besoin d’une aide immédiate pour : comprendre leurs nouveaux droits et leurs nouvelles responsabilités; trouver un logement sécuritaire et un emploi stable; accéder aux soins de santé et à l’éducation; apprendre les langues et la culture du pays; et créer des liens avec les membres de leur communauté culturelle, avec l’ensemble des Canadiens et avec le gouvernement canadien.

Dans son livre The Social Work of Museums, Lois Silverman rappelle à ses lecteurs que les musées aident les visiteurs non seulement à manifester leurs sentiments identitaires, mais aussi à consolider et à maintenir des liens sociaux essentiels avec les amis et la famille. Ils solidarisent les citoyens qui ont des intérêts communs et favorisent les interactions avec des personnes présentant des différences. Des parallèles peuvent être établis entre les besoins des réfugiés et ces pratiques muséales, ce qui laisse croire en la capacité des musées canadiens de contribuer positivement à la situation des réfugiés syriens, voire de l’ensemble des immigrants. Il importe que les réfugiés comprennent leurs droits et leurs responsabilités.

Jim Robertson, du Kerry Wood Nature Centre à Red Deer, et Susan Burrows-Johnson, du Galt Museum à Lethbridge, affirment que leurs musées aident les immigrants à créer un sentiment d’appartenance et à vouloir rester en encourageant la participation et en leur donnant les bases pour faire des choix éclairés et, au final, devenir des piliers de la communauté.

Le Kerry Wood Nature Centre a établi un partenariat avec un organisme pour réfugiés de la région afin d’offrir aux immigrants des programmes linguistiques qui améliorent leur vocabulaire et développent chez eux la confiance nécessaire pour interagir avec leur nouvel environnement. Les musées ne sont évidemment pas des établissements de santé, mais des données suggèrent qu’ils ont un impact positif sur le bien-être des réfugiés; ils renforcent notamment le sentiment d’appartenance des visiteurs et le mieux-être de ceux qui ont l’occasion de raconter aux autres leur propre expérience de vie.

À l’évidence, les musées canadiens se doivent de fournir efficacement des ressources éducatives dans des milieux toujours plus multiculturels et de convaincre leurs publics diversifiés qu’ils sont, en tant qu’institutions, capables de jouer un rôle dans leur acquisition de savoir la vie durant.

Auteur de Museums in a troubled world: Renewal, irrelevance, or collapse?, Robert Janes affirme que « les musées sont connus pour leur inefficacité notoire quand vient le temps de modifier leurs plans de travail pour tenir compte des occasions et des défis imprévus ». Il recommande que des groupes muséaux d’intervention rapide soient créés pour briser cette tendance, car des crises migratoires peuvent se déclencher à tout moment dans le monde.

Le partenariat et le partage d’autorité ne sont pas nécessairement des acquis pour les musées, surtout s’ils sont peu habitués à composer avec la diversité culturelle. Tout modèle muséal de services pour réfugiés digne de ce nom implique donc logiquement une collaboration étroite avec des organismes pour réfugiés et des groupes culturels. Les musées se doivent d’établir des réseaux et d’agir à l’échelle locale, plutôt que d’attendre que les associations muséales prennent l’initiative en la matière. Seule une poignée de musées ont été contactés par des organismes pour réfugiés quant à la situation syrienne; les musées canadiens auront vraisemblablement à amorcer le dialogue et à demander de l’aide pour définir leur rôle potentiel.

Enfin, dans un contexte où les besoins ne cessent d’augmenter sur le plan des finances, des ressources humaines et des transports, ajouter de nouvelles ressources pour les réfugiés ne contribue-t-il pas à freiner ou à stopper l’investissement dans d’autres secteurs? Certains professionnels de musée affirment plutôt que le travail avec les réfugiés permet aux musées d’accroître et de diversifier leurs publics; on souligne en outre que les interventions socialement responsables contribuent à bâtir des collectivités durables. John McAvity de l’Association des musées canadiens explique que, par le simple fait de favoriser l’accès des immigrants et des réfugiés à leurs espaces d’activités, les musées canadiens font un pas de plus vers la vocation de « forum communautaire » — par opposition à celle de « temple communautaire ».

Les professionnels de musée canadiens disposent d’une excellente occasion d’entamer des discussions ciblées et approfondies sur les façons d’améliorer et de partager leurs connaissances des besoins des réfugiés syriens en matière d’intégration. Et s’il s’agissait d’une occasion pour les musées canadiens de se démarquer? Comme l’affirme Jack Lohman du Royal British Columbia Museum : « Nous avons tous un rôle à jouer. »

Jim Cullen est un expert-conseil qui se spécialise en planification stratégique et opérationnelle, plus particulièrement dans le secteur des musées et des organismes à but non lucratif. Il détient un baccalauréat spécialisé en commerce de Western University et a récemment terminé des études supérieures en muséologie à l’University of Leicester (Royaume-Uni). Professionnel agréé en ressources humaines, Jim Cullen est aussi diplômé du programme Museum Management Institute du Getty.

Note:
1. Gouvernement du Canada. « #Bienvenueauxréfugiés : Le Canada a procédé à la réinstallation de réfugiés syriens ». http://www.cic.gc.ca/francais/refugies/bienvenue/index.asp (consulté le 22 août 2017).

Photos courtoisie du programme Ahlan Canada
L’Institut pour la citoyenneté Canadienne (ICC) a créé Ahlan Canada en 2016. Ce programme gratuit et convivial a permis aux familles syriennes nouvellement arrivées de découvrir les musées et sites culturels de renom au Canada. En mettant l’accent sur la communauté et la culture, Ahlan Canada était un projet inclusif qui a été réalisé en partenariat avec quinze musées participant au programme Laissez-passer culturel (LPC) tels que le Musée royal de l’Ontario, l’Art Gallery of Alberta, le Musée maritime de l’Atlantique, le Musée canadien de l’histoire et bien d’autres. Au total, 130 volontaires appartenant à la communauté ont accueilli plus de 750 nouveaux arrivants syriens au cours de 20 évènements Ahlan partout au pays de mars 2016 à Janvier 2017.

Ce rapport muséologique a été rendu possible grâce au financement du Gouvernement du Canada. Ce rapport a été également publié dans le magazine Muse, numéro novembre/décembre, 2017