Ottawa, le 27 septembre 2023

Le coût de l'inaction

Janis Kahentóktha Monture

À l’approche la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation – un moment idéal pour réfléchir à la réconciliation et à l’action qui peut s’ensuivre – j’aimerais vous faire part d’une histoire. Au cours d’un voyage de recherche au Peabody Museum en tant que stagiaire pour le Woodland Cultural Centre, le conservateur a indiqué que les masques cérémoniels de ma communauté figuraient dans leur collection, mais il ne savait pas quoi en faire. Ils se trouvaient tout en haut d’un rayonnage très élevé, et j’ai donc grimpé sur une échelle pour les atteindre. J’ai pu voir plusieurs masques et j’ai été bien consciente qu’il nous fallait les rapatrier. Un membre de la société de médecine m’avait dit que les masques ont une vie, qu’ils existent pour les cérémonies et qu’ils n’ont pas pour vocation d’être exposés dans un musée ou d’y figurer dans les réserves – ils doivent être utilisés pour faire vivre les traditions de mon peuple. 

Vous constaterez que la plupart des communautés autochtones ne considèrent pas les biens culturels comme des artefacts. La façon dont on en prend soin – dont on les préserve, entrepose ou présente – est tout à fait différente dans les musées que dans la communauté. Tous ces biens ou restes d’ancêtres sont vivants. Ils sont nos proches. Ils doivent être actifs et être utilisés au sein de la communauté et dans des cérémonies, et non entreposés enfermés dans des boîtes dans des pièces fermées à clé.

Il y a un an, l’Association des musées canadiens a publié une déclaration forte à l’appui de l’autodétermination des peuples autochtones, dans le cadre de son rapport intitulé « Portés à l’action : Appliquer la DNUDPA dans les musées canadiens. En réponse à l’Appel à l’action no 67 du rapport de la Commission de vérité et réconciliation ».
Elle stipule que la première étape est le retour de tous les restes d’ancêtres et les biens autochtones détenus par des musées, ainsi que l’adoption d’une législation ferme pour soutenir le rapatriement des biens et restes d’ancêtres autochtones.
    
Le rapport a beaucoup attiré l’attention des médias – malheureusement, ceux-ci se sont surtout concentrés sur ce que pourrait être le coût des recommandations sur le rapatriement des biens autochtones. 

La focalisation sur le coût du rapatriement fixe un prix à la réconciliation. Elle fait du problème un jeu à somme nulle, ou une simple question de choix politique. Ce n’est ni l’un ni l’autre. Nos systèmes juridiques – les traités et la toute nouvelle Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones – nous disent que ceux-ci sont des obligations juridiques que le Canada doit faire respecter.

Mes ancêtres ont payé le prix de leur identité autochtone, par la perte de leur langue, de leur culture et de leur mode de vie. Malgré cela, ils se sont battus pour maintenir les traditions vivantes face à la colonisation. Je sais ce que c’est que d’être invisible dans le récit national. Les histoires de mon peuple sont comme les masques cérémoniels – vivantes mais cachées à la vue. Ramener nos ancêtres et nos biens restaure un morceau du savoir traditionnel qui a été enlevé à nos communautés. Cela nous permet de continuer de nous épanouir.

Depuis que je suis devenue la première directrice générale autochtone de l’Association des musées canadiens, on m’a souvent demandé comment je vais prendre le virage du rapatriement dans ce pays. Certaines choses doivent être examinées avant que je réponde à cette question. Même si je suis une Mohawk des Six Nations of the Grand River, je dirige une organisation non autochtone. Il m’incombe de faire de la place à un cadre de rapatriement dirigé par les Autochtones. Faire de la place au sein de nos établissements et de notre secteur à un leadership autochtone, et à une orientation faisant autorité, produira une version plus équilibrée du passé de notre nation.

Un cadre fédéral pour le rapatriement doit comprendre l’établissement d’une stratégie fédérale concertée, soutenue par un financement dédié. Ce soutien facilitera le processus souvent complexe et exigeant en ressources du rapatriement des restes ancestraux et des biens culturels, tout en favorisant l’établissement de relations constructives entre les musées et les communautés autochtones. Il est important que le gouvernement fédéral entende les organisations et les communautés autochtones lorsqu’elles entreprennent des initiatives de rapatriement.

En tant qu’individus, nous devons nous unir pour réclamer que nos gouvernements et nos établissements prennent des mesures concrètes relativement au rapatriement. Pour réclamer que le patrimoine volé aux communautés autochtones leur soit rendu, sachant que nos peuples autochtones savent  mieux comment en prendre soin. Il est grand temps d’agir. 

Janis Kahentóktha Monture
Directrice générale et PDG de l’Association des musées canadiens

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