L’Outaouais, frontière culturelle méconnue


De l’ombre à la lumière

Lucile Godet

Si Gatineau est la quatrième ville la plus importante du Québec, elle est encore dans l’ombre de la scène culturelle et artistique québécoise. Et pour cause, nichée dans la région de l’Outaouais et bordée par une rivière qui porte le même nom, on pourrait croire que la ville s’est endormie, à l’ombre de la capitale qui lui fait face. Ottawa l’anglophone déplace pendant ce temps les foules pour ses scènes francophones. Même les Québécois en visite dans la région viennent rassasier leur faim de culture dans la capitale. 

Et pourtant… Que manquent-ils ? À première vue, pas grand-chose. Pour beaucoup, Gatineau est une ville industrielle. Les travailleurs d’Ottawa y habitent, sans pour autant l’investir. Ce qui est particulier avec Gatineau, c’est que c’est une ville reconstituée. À l’origine, elles étaient quatre, mais ont été fusionnées en 2002 pour des raisons administratives, formant ainsi Gatineau. De ces villes ne restent que les noms, appelés aujourd’hui « secteurs ». Bien que ces secteurs aient, encore aujourd’hui, du mal à se créer une identité commune, le sentiment d’appartenance au sein de chacun d’entre eux est très présent. Néanmoins, la culture gatinoise a un cœur battant et il porte le nom de Hull.

À Hull, la culture québécoise bat son plein. Car ne l’oublions pas : Gatineau est bel et bien au Québec. La ville jongle joliment entre projets culturels innovants, entreprises écologiques et, malgré tout, collaborations artistiques avec Ottawa. Pour avoir un bel éventail de l’expérience artistique de l’Outaouais, nous avons rencontré Hugo Gaudet-Dion et Geneviève L Richard. Hugo est artiste visuel. Il a décidé de s’établir dans la région depuis ses études dans son domaine à l’Université du Québec en Outaouais. Geneviève, elle, est une artiste multidisciplinaire touche-à-tout baignant dans l’effervescence culturelle gatinoise depuis l’enfance.

Il est impossible d’évoquer le milieu artistique et culturel de l’Outaouais sans commencer par parler de la Galerie AXENÉO7. Fondée en 1983, c’est l’un des lieux les plus créatif et pérenne de la scène artistique gatinoise. Basée dans une ancienne manufacture de laine, AXENÉO7 offre, en plus de ses expositions, des événements culturels, des performances artistiques et des DJ sets à chaque vernissage. Mais ne parler que de la Galerie ne rendrait pas honneur au projet complet qu’est la Filature. En réalité, l’édifice abrite un espace de résidence, la Galerie AXENÉO7 et le centre de production d’arts médiatiques Daïmon. L’organisme autogéré a vocation de diffuser l’art contemporain au plus grand nombre grâce à une programmation engagée, choisie avec finesse par des professionnels du domaine de l’art. En 2018, AXENÉO7 était le lauréat des Culturiades organisées par Culture Outaouais pour le prix de l’Organisme de l’année.

Un autre pilier de la culture gatinoise est l’Université du Québec en Outaouais, grâce à son programme de maîtrise en muséologie et pratique des arts, dirigé par l’École Multidisciplinaire de l’Image. C’est ici qu’Hugo Gaudet-Dion et Geneviève L Richard ont fait leurs études. Avoir une université artistique dans une ville comme Hull est un point déterminant. Elle permet d’attirer de jeunes artistes et de créer un réseau. Comme le dit Geneviève : « J'ai eu la chance de graduer en même temps qu'une belle cohorte d'artistes […] Ça nous a permis d'unir nos forces pour créer des initiatives artistiques pour la région ». Hugo confirme que ses études ont été pour lui comme un tremplin : « Durant mon BAC, je commençais déjà à être impliqué dans des projets ou des organismes. Puis à organiser divers événements comme des shows ou des expos avec des amis artistes et musiciens. […] Il y a plusieurs personnes avec qui j’ai fait mes études qui sont impliquées dans la culture en Outaouais et qui sont restées ici. » En 2015, l’École Multidisciplinaire de l’Image a ouvert une galerie étudiante au sein de l’école : la Galerie UQO. Une initiative qui a notamment permis de faire des expositions en collaboration avec AXENÉO7. À seulement quelques pâtés de maisons, les œuvres se répondent. Les deux organismes s’arrangent aussi pour que leurs vernissages soient rapprochés dans le temps, notamment pour faciliter l’accessibilité au public.

Nos deux artistes ont aussi tous les deux fait partie d’un collectif : Le Temporaire. Fonctionnel de 2009 à 2017, cet espace locatif abritait un groupe de jeunes artistes de la région. En plus d’être un espace de création et de production, le Temporaire offrait des concerts de musique, des performances artistiques, ainsi que de nombreuses soirées sous l’égide de l’art et du désir de créer, que ce soit de l’art ou des liens sociaux. Hugo Gaudet Dion affirme : « Je considère que la culture ici est en constant développement et qu’il y a plein d’espace pour commencer de nouveaux projets. Il y a aussi le fait qu’il y a une belle palette d’artistes talentueux et motivés, qui veulent expérimenter, collaborer et faire bouger les choses ». Geneviève L Richard souligne aussi l’importance de la proximité des artistes entre eux, mais aussi de celle de s’unir, d’où l’importance de lieux comme le Temporaire. Elle ajoute : « Il y a aussi eu le 44 Wright, un atelier de sérigraphie anarchique, le collectif Meat Parade, avec qui nous avons fait des levées de fonds qui ont permis à tout le collectif de voyager en Europe pour créer en groupe. Bref, les initiatives pullulaient, et je crois que ça a donné un vent de nouveau à la communauté artistique de Hull. »

D’autres projets culturels, plus nouveaux, ont vu le jour à Hull ces dernières années. Parmi eux, on compte le sentier culturel qui traverse l’île de Hull d’un bout à l’autre. Chaque été, des œuvres créées par des artistes de la région sont disposées dans le vieux Hull, formant un chemin stratégique faisant découvrir les rues piétonnes. Le but est autant de diffuser la culture locale au plus grand nombre que d’inciter le public à accorder de l’attention au patrimoine urbain de la ville. Le vieux Hull a la particularité de mêler en son centre des bâtiments gouvernementaux et des édifices plus anciens en briques rouges, pleins de charme. Pour suivre ce chemin, deux solutions. La première est simplement de longer la ligne rouge tracée sur le sol, inspirée de la Freedom trail de Boston. La seconde, plus élaborée, saura ravir les amateurs de technologies, car il en faut pour tous les goûts. À l’occasion du sentier culturel, la ville de Gatineau a mis en place une application nommée « GO Centre-Ville » et donne de surcroît des conseils pour se restaurer sur le chemin. Au sujet des différentes initiatives de sa région, Geneviève dit avec fierté : « J'ai toujours dit que Montréal, c'est beau, c'est créatif, mais c'est saturé. Ici en Outaouais, c'est peut-être moins avant-gardiste dans l'approche, mais si tu as de la motivation et des idées, tout est à faire! […] Il y a de l'art partout, prêt à être consommé. […] La communauté culturelle de l’Outaouais est à l’écoute de son public […]. Toutes les idées sont bienvenues, tout le temps. Il ne manque pas d’ambition et de créativité pour notre région, et ça me réjouit de voir que nous ne lâchons pas malgré les multiples embûches inévitables du domaine. » De son côté, Hugo précise que Gatineau n’est pas seulement une ville où il s’est établi.

La région fait presque partie de son processus de création : « J'aime l'échange que j'ai avec les artistes d'ici, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de respect entre nous, qu'ils s'intéressent au travail des autres. Plusieurs artistes de Hull et de Gatineau ont le goût du risque, d’expérimenter et de sortir de leur zone de confort, c’est quelque chose que je trouve très stimulant. […] J’aime cette énergie un peu chaotique qui règne à Hull, ça m’inspire beaucoup dans mon travail ».

Un projet de musée, fédérateur et innovant

En 2016, un projet de musée régional de l’Outaouais voit le jour. Après de nombreuses concertations, c’est le Réseau du Patrimoine de Gatineau et de l’Outaouais qui en hérite. L’idée : fonder un complexe muséal fédérant les Municipalités régionales de comté et la ville de Gatineau afin de mieux conserver, faire connaître et référencer les artefacts de la région.

Le 26 octobre 2018 a eu lieu l’événement MuséO Forum, un jalon marquant la fin des négociations et le début d’actions concrètes pour le MuséO — Projet muséal régional pour l’Outaouais. Le bon moment aussi pour donner un nom au projet : MuséO, un jeu de mot qui mêle le monde du musée et l’eau, si importante dans l’histoire de Gatineau.

Quelques mois après l’événement, nous avons rencontré Louis-Antoine Blanchette, directeur du RPGO, afin d’en connaître plus.

Quels vont être les enjeux majeurs de la mise en place d’un musée en Outaouais?

En ce moment, c’est le besoin pour la région d’avoir un pôle qui favorise le sentiment d’appartenance. Il y a peu de lieux en Outaouais pour favoriser cela. La fusion municipale de Gatineau est un échec en termes d’appartenance culturelle. On s’identifie aux différents secteurs de Gatineau mais on ne s’identifie pas à Gatineau en tant que ville. Une des raisons à cela est justement qu’à Gatineau, il n’y a pas de lieu qui vient fédérer cette nouvelle entité administrative. J’insiste sur le sentiment d’appartenance plutôt que sur l’identité. Le sentiment d’appartenance est quelque chose que l’on doit pouvoir s’approprier, tandis que l’identité est quelque chose qui nous appartient.

Le projet a aussi un enjeu plus concret de diffusion du patrimoine. Ceci est une autre lacune en Outaouais : il n’y a pas de lieu pour présenter le patrimoine de l’Outaouais. Il y a plusieurs musées qui présentent l’histoire des secteurs de Gatineau et des villes alentour mais il n’y a pas de lieu qui rassemble tout cela. L’enjeu est donc d’avoir un lieu de diffusion des patrimoines de l’Outaouais.

Il y a aussi un enjeu de conservation. Les artefacts de la région sont éparpillés, et, pour la plupart, sont entreposés dans de mauvaises conditions. À l’heure actuelle, on n’en connait pas l’ampleur. Certains aspects de l’histoire de l’Outaouais pourraient être amenés à être réécrits lorsqu’on aura fait un inventaire en bonne et due forme de ces collections, que ces artefacts seront entreposés dans des conditions normées, et qu’il y aura des espaces pour faire de la recherche sur ces collections-là. Pour le moment, c’est l’enjeu prioritaire.

Quelles seront vos lignes directrices?

Le projet s’adresse à toute personne intéressée par le patrimoine. Le public visé est en premier lieu les citoyens de l’Outaouais, mais aussi les touristes et les nouveaux arrivants.

En ce moment, on est encore à un stade trop préliminaire pour confirmer quoi que ce soit mais pour une infrastructure régionale qui regroupe plusieurs institutions, il y aurait forcément une forme de standardisation en terme d’expographie, d’approche éducative, de médiation culturelle et de diffusion. Sans tout uniformiser, il y aurait nécessairement une forme de standardisation, ne serait-ce que pour garantir et maintenir un certain niveau de professionnalisme. Pour que le public comprenne et se retrouve, il faut qu’il y ait une cohérence sur le plan visuel, sur l’approche muséographique, et dans la façon dont l’information va être présentée. M

Lucile Godet
Diplômée par l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne d’une maîtrise en Gestion des Arts et de la Culture, Lucile Godet travaille aujourd’hui à l’AMC. Elle se spécialise dans l’art contemporain, la gestion de projets culturels et la rédaction. Vous pouvez la joindre à lu.godet3@gmail.com.

Ce rapport muséologique a été rendu possible grâce au financement du Gouvernement du Canada. Ce rapport a été également publié dans le magazine Muse, numéro mars/avril 2019.